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Autour de mes publications
23 octobre 2014

L'écho des carrières

Pour la promotion de mon livre, j'ai été interrogé en avril dernier par Roselyne Anziani, la très sympathique et dynamique présidente de l'ACJP, l'Association culturelle des Juifs du Pape. Avec un peu de retard, l'interview paraît ce mois-ci dans le nouveau numéro de la revue L'écho des carrières (n° 75, juin 2014, p. 49-53). 

EdC

1 - Quelles sont l’origine et les raisons de votre intérêt pour, d’une part les soldats du 112e régiment d’infanterie d’Antibes, et d’autre part la période de la Grande Guerre ?

Je vais dans un premier temps répondre à la seconde partie de votre question : mon intérêt pour la Première Guerre mondiale. À la fin des années 80, un collègue de travail m’a fait découvrir Orages d’acier d’Ernst Jünger, sans doute le soldat allemand le plus connu en France. J’ai prolongé ma lecture de guerre avec les autres écrits de cet auteur, si bien qu’à l’époque, mes références littéraires étaient allemandes ! Mais c’est à partir de 2001, lorsque je découvre qu’un arrière grand-oncle est mort à la guerre, que je me passionne réellement pour cette période de notre histoire nationale.
Pour ce qui est de la première partie de votre question – pourquoi le 112e ? – je dois d’abord dire que je n’ai aucune attache familiale avec ce régiment. Si mon grand-père maternel a fait la guerre de 14 et l’un de mes arrières grands-oncles est mort pour la France en 1915, ils appartenaient tous deux à des régiments sarthois. C’est au début de mes recherches sur L’affaire du 15e corps que je suis tombé sur la copie des carnets de route de Marcel Rostin, un officier du 112e d’infanterie qui appartenait à ce corps d’armée. Petit à petit, je me suis intéressé à ce régiment ; et comme je me suis attaché par la suite à cet officier, on peut dire qu’en quelque sorte je me suis créé une filiation. 

2 - Pourquoi cibler votre recherche sur les poilus juifs ?
Cela s’est fait naturellement. Je dirai que cette recherche est venue à moi plutôt que le contraire. Ce sont les poilus juifs qui sont « venus me chercher », si je peux me permettre. Je vous vois sourire, alors laissez-moi vous expliquer.
Je venais de créer un site internet sur le 112e d’infanterie – il n’existe plus à présent – lorsque je fus contacté en mai 2006 par le petit-fils d’un combattant de ce régiment qui détenait le carnet de route de son aïeul, Maurice Bertman. J’étais d’autant plus intéressé par ce texte que je préparais à l’époque une édition des carnets et lettres de Marcel Rostin, cet officier dont je viens de vous parler. La première surprise fut de découvrir que les deux hommes avaient été dans la même compagnie, l’un au service de l’autre et le premier citant même son supérieur dans son journal. La seconde surprise, ce qui nous amène directement à votre question, se révéla quelques pages plus loin : dans l’un des feuillets ce soldat évoque sa rencontre avec Raoul Hirschler, l’aumônier israélite du 15e corps dont dépendait le 112e. De plus j’avais déjà croisé à plusieurs reprises dans les lettres de Rostin le nom et l’évocation d’un autre combattant juif : le sous-lieutenant Bokanowski, député de la Seine. Je désirais alors en savoir plus sur les soldats juifs et leur rapport avec la religion en pleine guerre. 

3 - Vous dites avoir eu la chance de réunir les journaux de guerre de trois combattants juifs appartenant au 112e. Comment cela s’est-il fait ?
Une copie du journal de campagne de Maurice Bertman m’a été donnée par son petit-fils. Pour Roger Rebstock, c’est son fils qui m’adressa une retranscription des pages de son carnet de route. Enfin, le témoignage de Maurice Bokanowski m’a été communiqué par une personne qui lui avait consacré un mémoire de maîtrise. Je n’ai donc jamais eu véritablement les carnets entre les mains durant mes recherches, même si par la suite j’ai pu voir ceux de Rebstock. 

4 - Ce sont donc ces trois carnets réunis, ajoutés à votre intérêt pour l’histoire des Juifs, qui ont décidé de l’orientation de vos recherches…
C’est en fait l’inverse : mon intérêt durable pour l’histoire juive, ajouté à la réception d’un premier carnet ont orienté mes recherches pour la suite. Peu après, j’ai senti que j’avais dans les mains quelque chose de très intéressant à exploiter. Je me suis laissé guider et le reste est venu. 

5 - Comment avez-vous identifié les poilus de confession ou d’origine israélite ?
Je possède la liste de tous les tués ou morts de maladie du régiment. J’y ai donc cherché dans un premier temps tous les noms juifs ou susceptibles de l’être. Le Livre d’or du judaïsme algérien (1914-1918) paru en 1919 et celui d’Albert Manuel, 1914-1918 : Les Israélites dans l’armée française, publié en 1921 ont été ma seconde source. J’ai ensuite dépouillé la presse juive : L’Univers israélite, Archives israélites et Le volontaire juif. Enfin, il m’a fallu logiquement élargir la recherche avec les soldats qui ont survécu au conflit.

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Sachant bien qu’un même patronyme peut être porté à la fois par un Juif et un non-Juif, c’est dans les registres matricules des conscrits que, par grâce à l’identité des deux parents et à leurs prénoms hébraïques, j’ai pu affiner ma sélection.
Je ne prétends pas avoir recensé tous les soldats juifs ayant combattu au sein du 112e. Il eut fallu pour cela éplucher les registres matricules de tous les soldats de la guerre, tâche évidemment impossible à réaliser. Mais le régiment ayant caserné à Antibes jusqu’en avril 1914, j’ai examiné aux Archives départementales des Alpes-Maritimes tous les volumes des classes 1903 à 1914. 

 6 - Combien en avez-vous recensé ?
49. Je comptabilise même des fantassins incorporés durant quelques jours. Parmi eux, quinze sont morts au 112e, deux dans une autre unité. 

7 - Vous avez évoqué au début de notre entretien l’affaire du XVe corps. Pouvez-nous nous en dire un mot ?
Après avoir subit de très lourdes pertes - plus de 4 000 soldats tués entre le 10 et le 20 août 1914 - les Provençaux ont été accusés, dans un article paru le 24 août 1914 dans Le Matin, d’avoir « lâché prise devant l’ennemi » en Lorraine. Cette accusation portée injustement à l’encontre des Provençaux, et qui servait en réalité à dédouaner le commandement militaire, créa une très vive émotion dans tout le Midi. Les soldats originaires de la 15e région militaire furent victimes de nombreuses brimades et vexations (refus de soins, etc.).

 8 - La volonté de réhabiliter les Méridionaux du 15e corps, frappés d’un racisme intérieur, a-t-elle été déterminante ?
Non, absolument pas. Il n’y a pas de rapport entre cette histoire et les soldats juifs. Un de ceux-ci, Maurice Bertman, écrit même ce commentaire peu amène à l’encontre du régiment de Marseille : « Nous avons repris une tranchée française que les Allemands ont pris au 141e sans coup férir car ces lâches se sont rendus sans défense alors qu’ils pouvaient repousser l’attaque. Et ce sera à eux que le XVe corps devra sa mauvaise réputation ». On voit là que ce soldat prend bien soin de se démarquer de ses compatriotes du Midi. 

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9 - Le 112e  rassemblait donc des combattants de tous horizons...
C’est exact. Car paradoxalement, la plus grande part de ces soldats incorporés dans un régiment provençal n’est pas originaire de Provence. C’est pour cela que j’ai intitulé mon livre Les poilus juifs d’un régiment provençal et non Les poilus juifs de Provence dans l’infanterie. Il y a des Juifs algériens et des engagés de l’Europe de l’Est. Pour ce qui est de la Provence, les natifs ou résidents de Marseille sont les plus nombreux. 

10 - Quelles sont les sources qui vous ont permis de détailler le parcours de cette unité, en particulier les batailles auxquelles ont participé ces soldats ?
Toute personne qui souhaite enquêter sur un soldat et/ou son unité doit aller à la recherche de quelques pièces fondamentales. Je pense tout d’abord à l’historique régimentaire que le journal des marches et opérations (JMO) viendra rapidement compléter. Véritable carnet de bord du régiment, le JMO relate les événements vécus au cours d’une campagne. Autre pièce militaire à ne pas négliger : l’état signalétique et des services. Plus connu sous le nom de registre matricule, il est au soldat ce que l’historique est au régiment. 

11 - Cependant votre ouvrage ne se limite pas au récit des combats, vous y abordez beaucoup d’autres sujets qui ont impliqué de votre part des recherches approfondies, en particulier dans le domaine de la pratique religieuse.
Je pense m’être beaucoup investi intellectuellement pour cet ouvrage ; et afin de mieux vous le faire comprendre, je vais employer une métaphore : tel un acteur qui sillonnerait les routes de France sur son vélo afin de s’imprégner de son futur rôle de champion cycliste, je me suis plongé durant plusieurs années dans l’histoire et la religion juives. À ce sujet, j’ai lu la parasha et la haftara* chaque semaine pendant deux ans en même temps que je lisais une grande quantité d’ouvrages sur l’antisémitisme ; et j’ai aussi appris à déchiffer l’hébreu biblique. Bref, je voulais vraiment, mais peut-être naïvement, m’imprégner de toute cette culture, de cette tradition et de cette histoire juives. Mais là où l’acteur quitte son vélo – pour reprendre l’exemple du cycliste – après avoir tourné le film, mon imprégnation fut, plutôt, est toujours, plus profonde de ma part. Ce n’était peut-être pas nécessaire pour mon livre mais je ne voulais pas passer outre. Je ne regrette rien. Ce temps d’étude, ce temps de limoud comme disent les rabbins, m’a été d’une grande richesse. 

12 - Au chapitre 5, vous livrez les impressions et les sentiments exprimés dans leur carnet par ces trois soldats. Dans ce domaine, les Juifs étaient-ils différents des autres ?
Leur façon de raisonner serait-elle différente parce que Juifs ? Je ne le pense pas. Ces trois combattants qui livrent leurs impressions, s’ils sont Juifs, se considèrent avant tout comme Français. La citoyenneté prime sur la religion. Toutefois, on surprendra Maurice Bertman écrivant ce ressenti : « Notre régiment compte nombre de coreligionnaires cités à l’ordre pour faits de guerre ce qui rehausse beaucoup notre renommée ».

                 Renommée

Leur attitude sous le feu serait-elle moindre parce que de confession israélite ? Au contraire ! S’ils tenaient à prouver à leurs détracteurs qu’ils étaient de « vrais Français », ils se sentaient eux-mêmes Français. Aussi, il me semble que les récits de ces soldats pourraient s’appliquer à n’importe quel poilu et s’identifier avec la grande majorité des publications existantes. 

13 - Quelle est la part de l’antisémitisme que vous avez perçu au sein du régiment durant le conflit ?
Dans les documents que j’ai consultés (correspondances, journaux) et qui auraient pu me renseigner à ce sujet, je n’ai perçu aucun antisémitisme. L’union sacrée semble avoir joué pleinement. 

14 - Le travail de l'historien vient renseigner l'histoire familiale et, à l'inverse, les témoignages familiaux viennent enrichir votre travail. Comment se sont passés les contacts avec les familles ?
L’accès aux sources familiales, donc privées, ne fut pas toujours facile. J’ai du relancer plusieurs fois telle ou telle personne afin d’obtenir sa confiance, attendre de longs mois et patienter avant de recevoir une réponse, pas toujours positive. Aussi, lorsque les descendants se livrent, que l’un d’entre eux me fait profiter des carnets de son père, quelle récompense alors ! Avec les documents que l’on m’a donnés et les informations que l’on m’a communiquées j’ai pu avancer dans mes recherches. 

15 - Vous avez déjà publié un livre sur un officier du 112e RI. En quoi cette nouvelle publication est-elle différente ?
Dans mon ouvrage paru en 2008 et intitulé Un officier du 15e corps. Carnets de route et lettres de guerre de Marcel Rostin (1914-1916), je n’ai fait que retranscrire, annoter et présenter des carnets. Celui qui parle c’est Rostin. Avec ce nouveau livre, je voulais passer de la transcription annotée à quelque chose de différent. Et si je donne très souvent la parole aux combattants juifs, je pourrais presque dire que ce n’est qu’un prétexte. La prise de parole de ces soldats sert de fil conducteur à cette étude. Car c’est réellement une étude dans le sens où « j’étudie » ces hommes : comment prient-ils, comment pensent-ils et combattent-ils, combien mesurent-ils, quel métier exercent-ils, etc. 

16 - Pourriez-vous nous décrire ce qui vous a le plus marqué ou surpris, au cours de votre recherche ?
Pris dans le sens positif du terme, ce qui m’a le plus surpris c’est bien évidemment le fait d’avoir obtenu trois journaux de poilus juifs. Trouver des carnets d’un même régiment, ce n’est pas rare mais pas fréquent non plus, mais obtenir trois carnets de poilus juifs issus d’une même unité, c’est vraiment incroyable ! Pris dans le sens négatif du terme, c’est le fait d’avoir eu parfois des portes fermées. Mais c’est le lot de tout chercheur. 

17 - Avant de démarrer notre entretien vous m’avez dit : « On écrit d’abord pour soi, c’est ensuite que l’on décide de publier », que vous a apporté ce travail ?  
La fortune et la gloire (rires). Plus sérieusement, je voulais faire connaître la vie quotidienne des Juifs dans les tranchées. Ce qui m’a sans doute le plus enrichi, c’est l’échange de documents et d’informations avec les descendants directs de ces combattants. Mon but sera atteint lorsque d’autres découvriront le parcours de leurs ancêtres. Qu’ils n’hésitent pas à me contacter ! 

*
 La parasha est la section hebdomadaire de lecture de la Torah. Elle est complétée par la haftara, un extrait du Livre des prophètes, qui est choisi en écho et contre-point du discours de la parasha.

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14 octobre 2014

Un article dans Haboné

Le nouveau numéro d'Haboné (n° 182, septembre-octobre 2014), le mazagine de la communauté juive de Marseille et de sa région, vient de sortir. Un bel article de M. Daniel Darmon signale mon bouquin p. 39

Haboné

6 octobre 2014

Critique libre de mon livre

Jules Romans vient de recenser mon livre sur le site Critiquelibres.com :

Juif et Provençal deux superbes tares pour certains nationalistes de la Belle Époque, Zemmour rappelle-toi de tous ces "je t'aime"

Philippe-E. Landau dans " Les Juifs de France et la Grande Guerre" avait montré le patriotisme des juifs français (issus du sol hexagonal ou d'Algérie) et étrangers durant la Première Guerre mondiale auquel même Barrès avait rendu hommage. Ici Olivier Gaget s’attache à décrire le parcours précis des combattants israélites du 112e RI basé dans le Var à la Belle Époque. 

Sachant Maurras né à Martigues (ce que le préfacier Jean-Yves Le Naour omet de préciser), on rit de cette réflexion de Gaston Méry (mort en 1909) datant de 1892 au sujet des Juifs et des Méridionaux :

« L’un et l’autre se ressemblent comme deux jumeaux. Comme les juifs ils sont mêlés à nous mais comme les juifs on les distingue au premier coup d’œil. Leur accent, leur manque de tact, je ne sais quoi émane d’eux, quelque chose de faux, d’outré, d’agaçant et de répugnant les font reconnaître, comme une odeur d’ail ».

Il suffit de rappeler la grave accusation lancée par le sénateur de la Seine, Auguste Gervais, dans un article du 24 août 1914 : le 15e Corps d’armée aurait reculé devant l’ennemi à Dieuze en Lorraine pour savoir que la presse nationaliste en veut bien plus aux troupes provençales qu’aux coreligionnaires de Dreyfus au début du conflit. 

Pour ceux dont le nom est encore inscrit sur une plaque dans une synagogue, c’est le cas de 18 Niçois, l’identification était aisée ; elle fut beaucoup plus difficile pour d’autres aux prénoms d’un usage courant. La page 230 nous livre la trentaine de noms de poilus israélites dont Olivier Gaget a tenté de reconstituer l'ensemble de la vie et le parcours durant la Grande Guerre. Peu d’entre eux étaient des naturalisés issus de l’empire russe (Pologne comprise). L'auteur s'est appuyé sur trois carnets de guerre de ces poilus afin de reconstituer ce passé. 

Ce livre est à offrir en particulier à Éric Zemmour, qui nous désinforme au sujet de la protection qu’auraient reçue les juifs français de la part de Vichy**. On y voit en particulier que l’officier de l’armée de l’air Maurice Bertman est obligé de se cacher durant toute l’Occupation afin d’échapper aux rafles et que le commandant Abraham Georges Ascoli (qui sert au 112e RI de juin 1918 à mars 1919) meurt à Auschwitz. René Hirschler, le fils du rabbin du 15e corps d’armée (auquel appartient le régiment étudié), est arrêté à Marseille et décède en déportation. Marc Robert Cassin musicien-brancardier (cousin de René Cassin) vit dans la clandestinité et voit son père et sa sœur mourir en déportation… Au fait "rappelle-toi de tous ces je t'aime" est la première phrase du refrain d’une chanson. 

Le personnage le plus connu est sans contexte Moïse (devenu Maurice en 1903) Bokanowski né au Havre en 1879, franc-maçon du Grand Orient. Avocat, il est élu en 1914 député radical d’Asnières et Saint-Ouen. Partisan de la loi des trois ans de service militaire, il évolue du centre-gauche vers le centre-droit après-guerre. Son fils fut également député-maire d’Asnières. Cet ouvrage est le fruit de réelles recherches et comme souvent la micro-histoire rigoureusement menée permet d'éclairer la "grande histoire".

**
Précision : l'allusion à Éric Zemmour fait suite à son dernier livre Le suicide français qui vient de paraître et fait polémique au moment de la rédaction de cet article.

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